Lui président de la République – Économie : François Hollande, le grand malentendu

À tenter de concilier son cap économique avec ses promesses de campagne et sa gauche, le président ne convainc pas. Et brouille d’importantes réformes.

François Hollande lors de son premier meeting de campagne, au Bourget, le 22 janvier 2012.
François Hollande lors de son premier meeting de campagne, au Bourget, le 22 janvier 2012. 

Près d’un après son élection, François Hollande est dans une position plus délicate que jamais. Le chef de l’État est confronté à une triple désaffection : celle des électeurs en général ; celle des entrepreneurs ; celle d’une partie de sa propre majorité. Tous se posent cette même question : qui est le vrai François Hollande ? Est-ce celui qui a fait de la « finance sans visage » son ennemi et a massivement augmenté les impôts ? Ou est-ce celui qui a accordé un crédit d’impôt de 20 milliards en faveur des entreprises et a demandé à sa propre majorité de ne pas voter l’amnistie sociale pour les syndicalistes ?

Dans une note qui avait créé une polémique sur Internet à un mois du second tour de la présidentielle, un analyste du courtier Cheuvreux avait souligné cette contradiction inhérente à François Hollande. L’auteur expliquait à ses clients anglo-saxons que le candidat socialiste avait adopté « une position ambiguë » sur l’austérité budgétaire et la réforme du marché du travail « pour des raisons purement électorales ». Une stratégie qui décevrait « à coup sûr l’électorat populaire ou les marchés financiers, puisqu’il est impossible de réconcilier les deux ». Nicolas Doisy misait visiblement sur une déception de l’électorat populaire : « L’euro-pragmatisme de François Hollande devrait se réveiller sous la menace d’une attaque sur la dette française » et « la colère des partenaires européens de laFrance face à son inaction ». Il annonçait même que le candidat serait obligé de flexibiliser le marché du travail… Un an plus tard, force est de constater que le spécialiste de Cheuvreux avait vu juste, même si la pression des marchés s’est atténuée. À ceci près que François Hollande n’assume toujours pas son cap économique : il mène ses réformes en catimini, alternant les coups de barre à gauche et à droite.

Le mirage de la réorientation de l’Europe vers la croissance

Une ambiguïté accentuée par les premiers mois de son quinquennat. Le début de la séquence pouvait laisser penser que François Hollande appliquerait strictement son programme présidentiel. Le budget rectificatif de 2012 est en effet l’occasion de défaire les symboles du sarkozysme. À peine élu, il fait supprimer la TVA sociale et la défiscalisation des heures supplémentaires. Il respecte ses principales promesses sociales : retour à la retraite à 60 ans pour ceux qui ont commencé à travailler très tôt, coup de pouce – timide – au smic, augmentation de l’allocation de rentrée scolaire, embauches à l’Éducation nationale.

Mais sur la scène européenne il cède déjà devant Angela Merkel. De réorientation de l’Europe vers la croissance, il n’y aura point : son plan de 120 milliards est largement fictif, 60 milliards seulement étant réellement de l’argent supplémentaire. Cette reculade plombe encore aujourd’hui toute la politique économique d’un président qui a pourtant signé sans sourciller le traité de stabilité budgétaire européen négocié par « Merkozy ».

Après les impôts Sarkozy, voici les impôts Hollande

C’est d’ailleurs au nom du « sérieux budgétaire » requis par le traité que François Hollande impose un ajustement sans précédent de 30 milliards d’euros dans le budget 2013. Comme prévu, les plus riches passent les premiers à la caisse – l’ancien barème de l’ISF est rétabli, une tranche supplémentaire d’impôt sur le revenu est créée, et les revenus du capital sont imposés au barème de l’impôt sur le revenu -, mais, contrairement à la communication officielle, 9 Français sur 10 ne sont pas épargnés. Rien que le gel de l’indexation du revenu servant de base de calcul fait augmenter l’imposition de nombreux Français : seuls les ménages des deux premières tranches sont préservés de cette mesure inaugurée l’année précédente par François Fillon ! Dès l’automne 2012, les Français doivent se rendre à l’évidence : ils passeront à la caisse quelle que soit la taille de leur portefeuille.

Les entreprises, elles, s’y attendaient. Le coup n’en est pas moins rude : entre le premier budget rectificatif 2012 de Hollande et le budget de 2013, elles doivent encaisser quelque 20 milliards de hausse d’impôts. Mais c’est l’article 6 du PLF 2013 qui met le feu aux poudres en alignant la taxation des plus-values de cession de parts d’entreprise sur celle du travail. « C’était une énorme surprise », explique un avocat fiscaliste, conseiller des grandes entreprises. Même si cet alignement était dans le programme présidentiel, « personne n’a pensé un seul instant qu’il mettrait au barème de l’impôt sur le revenu la plus-value des cessions de parts d’entreprise sans prendre en compte ni la double imposition impôt sur les sociétés/impôt sur le revenu, ni l’inflation ».

Divorce avec l’entreprise

La mesure est tellement mal reçue qu’elle provoque une fronde numérique spontanée d’entrepreneurs et « business angels », regroupés sous la bannière des Pigeons. Le fait que François Hollande ait été obligé de rétropédaler lundi dernier sur cette réforme, plusieurs mois après le vote du projet (pourtant déjà amendé), en dit long sur le fossé qui s’était creusé en à peine quelques mois entre l’exécutif et le monde de l’entreprise. Pourtant, de l’aveu de notre avocat fiscaliste, « on ne peut pas dire que la charge fiscale des entreprises ait augmenté pendant cette première année » de quinquennat. Dès le début novembre, Jean-Marc Ayrault annonçait en effet un crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE). « On a eu la divine surprise qu’on nous rende 20 milliards, alors que pendant la campagne présidentielle François Hollande nous avait dit qu’il nous prendrait 20 milliards. » À croire notre avocat, l’exécutif a tout simplement réalisé qu' »il n’y avait pas de marge de manoeuvre parce que Nicolas Sarkozy avait déjà tout fait » sur la taxation des entreprises.

Une « révolution copernicienne » toujours pas assumée

Les similitudes avec la politique de l’ancien président sont d’ailleurs frappantes : après avoir supprimé la TVA sociale, le nouveau locataire de l’Élysée décide de financer son crédit d’impôt par… une hausse de TVA ! Un symbole de ce que François Hollande n’hésite plus à qualifier, lors de sa première conférence de presse mi-novembre, de « socialisme de l’offre ». Cette « révolution copernicienne » pour la gauche, comme la qualifie Pierre Moscovici, a encore été martelée lundi dernier par le président lors de la clôture des assises de entrepreneuriat : « Ce sont les entreprises qui créent la richesse, qui créent l’activité et donc l’emploi. » Désormais, il faudra relancer l’économie non pas par la demande, mais par la mise en place de conditions favorables à la production, donc aux entreprises. Certains observateurs vont jusqu’à faire le parallèle avec le tournant de la rigueur de 1983.

Mais alors, comment expliquer un tel divorce entre le gouvernement et les entreprises ? Pour notre avocat fiscaliste, le malentendu est avant tout psychologique, nourri d’épisodes tels que la polémique sur la nationalisation de Florange, la loi d’amnistie sociale ou encore l’obligation de revendre à des repreneurs les sites « rentables », une proposition de loi socialiste qui arrive devant le Parlement.

Impuissance face au chômage

Sur le fond, François Hollande n’en mène pas moins des réformes réclamées par le patronat. L’accord sur la « sécurisation de l’emploi », bien mal nommé, flexibilise – un peu – le marché du travail grâce à un accord entre syndicats majoritaires et le patronat. Sur les retraites, le gouvernement s’apprête à aller plus loin que la précédente majorité. Mais François Hollande mise sur la négociation pour mieux faire avaler des pilules à son électorat et sa propre majorité, au risque donner l’impression qu’il prend trop son temps.

La crise, elle, n’en perd pas. Dans le scénario optimiste, la croissance sera quasi nulle en 2013. Face à l’ampleur du choc, la désormais fameuse « boîte à outils » du docteur Hollande pour lutter contre le chômage apparaît dérisoire. Malgré la Banque publique d’investissement, les 150 000 contrats d’avenir par an annoncés, les contrats de génération, le chômage crève le plafond. En mars, le record de 1997 a été enfoncé avec 3 224 600 chômeurs sans aucune activité. De quoi compromettre l’objectif, pourtant déjà repoussé, d’inverser la courbe d’ici à la fin de l’année…

« Sérieux budgétaire » attaqué de toutes parts

De quoi aussi faire perdre patience à la gauche de la gauche qui y voit ni plus ni moins la conséquence logique d’une politique d’austérité et réclame une bonne vieille relance par l’endettement. François Hollande a pourtant remisé ses engagements européens au placard : en 2013, la France ne reviendra pas sous la barre de 3 % de déficit. L’effort sans précédent voté à l’automne 2012 lui a permis d’invoquer le ralentissement de la croissance pour obtenir la magnanimité de ses partenaires européens. Il n’empêche : même avec un délai, Bercy doit tenir un numéro d’équilibriste entre refus du « fétichisme du chiffre » et nécessaire rééquilibrage des comptes.

Elle risque d’être d’autant plus déçue qu’après avoir misé l’essentiel sur des hausses d’impôts – au prétexte que cette méthode serait moins préjudiciable pour la croissance à court terme -, le gouvernement veut maintenant contenir la dépense publique comme jamais. En moyenne, sur l’ensemble du quinquennat, elle ne devrait plus progresser que de 0,5 % par an (ce que Nicolas Sarkozy n’est jamais parvenu à faire) ! Et encore moins à partir de 2014. François Hollande avait annoncé deux ans d’effort, puis trois ans de redistribution. Le scénario qui se dessine est plutôt celui de tout un quinquennat d’ajustement…

Une modernisation de l’action publique encore sans effet

Et les Français ne savent toujours pas quelles réformes de fond permettront de tenir les objectifs. De l’aveu général, l’État est à l’os. Compresser plus la dépense va donc nécessiter de repenser le périmètre de son intervention. Mais la modernisation de l’action publique, qui a succédé à la révision générale des politiques publiques (RGPP) de Sarkozy, n’a pas encore permis d’identifier des sources d’économies importantes, malgré le passage en revue programmé de 44 politiques publiques. La décentralisation apparaît bien mal engagée. Au lieu de supprimer des échelons, elle devrait encore en rajouter un au millefeuille territorial ! Le gouvernement est condamné à égrener une multitude d’annonces douloureuses, du plafonnement des allocations familiales pour les familles aisées en passant par des coupes drastiques dans le budget de la défense.

Pour l’opposition, le péché originel du quinquennat reste l’embauche de 60 000 fonctionnaires supplémentaires à l’Éducation nationale. De fait, ce choix réduit considérablement les marges de manoeuvre du gouvernement. Il doit geler le point d’indice de la fonction publique et tailler davantage dans les effectifs d’autres ministères.

Passer la vitesse supérieure

Pire, l’effort global programmé sur la baisse des dépenses a beau être sans précédent, il pourrait être insuffisant. Car le bel édifice qui est censé permettre de ramener d’ici à 2017 la dépense publique à 54 % du PIB (contre 56,9 prévue en 2013) est bâti sur du sable. Les hypothèses de croissance sont bien trop optimistes, notamment à partir de 2015.

François Hollande en est malgré tout convaincu : depuis un an, il a fait « des choix majeurs pour la France », comme il l’a confié récemment dans un entretien à des agences de presse. Il revendique même en avoir fait « bien davantage en 10 mois qu’en 10 ans », grâce à son pacte de compétitivité, à sa réforme du marché du travail et à son « sérieux budgétaire ». Une autosatisfaction complètement déconnectée de la réalité ? Jacques Attali, qui avait réfléchi pour Nicolas Sarkozy à la « libération de la croissance », reprend pourtant ce jugement à son compte. Sauf que l’ancien conseiller de François Mitterrand, recommande de « passer d’une échelle 5 dans l’intensité de l’action à une échelle 20 ». François Hollande donne au contraire l’impression qu’il aura bientôt fait l’essentiel du chemin et qu’il ne restera plus qu’à attendre des jours meilleurs…

Click here to find out more!D’après Le Point

Laisser un commentaire